La Cour de cassation, saisie en janvier 2019 de deux pourvois relatifs à la charge de la preuve de la présence du passager à bord du vol retardé, rend les armes un an presque jour pour jour après la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 24 octobre 2019 à laquelle nous avions consacré un article.
Pour mémoire, une longue saga judiciaire avait opposé les juridictions de proximité – un temps appelées Tribunaux d’instance, mais c’est une autre histoire – sur la question de savoir si les passagers de vols retardés devaient, pour pouvoir bénéficier de l’indemnité forfaitaire prévue par le Règlement CE 261/2004, apporter la preuve qu’ils s’étaient bien présentés à l’embarquement du vol retardé…
Le Cabinet a toujours soutenu qu’il appartenait aux compagnies aériennes de justifier un éventuel refus d’indemnisation, le cas échéant en établissant que leur passager ne s’était pas présenté à l’aéroport. Ce qui est particulièrement aisé pour elles au regard de l’obligation qu’elles ont de conserver un registre des passagers embarqués, aux fins notamment de satisfaire aux exigences de sécurité, d’identification des passagers, de lutte contre le terrorisme et contre l’immigration illégale.
Si de nombreuses juridictions retenaient notre argumentation, d’autres, à l’instar du Tribunal d’Aulnay-sous-Bois (compétent pour les vols au départ ou à l’arrivée de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, premier aéroport de France) avaient pris l’habitude de rejeter les demandes d’indemnisation des justiciables ne fournissant pas la copie de leur carte d’embarquement.
La Cour de cassation, saisie d’un premier pourvoi contre une décision de rejet du Tribunal d’Aulnay sous Bois motivée par l’absence de carte d’embarquement, avait contre toute attente, dans sa décision très remarquée du 14 février 2018, jugé qu’il appartenait aux passagers aériens de prouver leur présence à bord.
Marquant un net recul des droits des consommateurs, et malgré les critiques nombreuses qui ont suivi cet arrêt, la Cour de cassation est venue confirmer à deux reprises, les 12 septembre et 10 octobre 2018, sa lecture particulièrement stricte des dispositions du Code de procédure civile relatives à la charge de la preuve.
Le Cabinet, à l’instar d’un autre cabinet intervenant pour la défense des passagers aériens, a continué de contester cette jurisprudence nationale jusqu’à obtenir le renvoi à la Cour de Justice de l’Union européenne de plusieurs questions préjudicielles visant à obtenir une interprétation harmonisée du Règlement CE 261/2004.
C’est ainsi que la CJUE a tranché, au niveau européen, cette question en affirmant le 24 octobre 2019 que « des passagers d’un vol retardé de trois heures ou plus à son arrivée et possédant une réservation confirmée pour ce vol ne peuvent pas se voir refuser l’indemnisation en vertu de ce règlement au seul motif que, à l’occasion de leur demande d’indemnisation, ils n’ont pas prouvé leur présence à l’enregistrement pour ledit vol, notamment au moyen de la carte d’embarquement ».
Dans le même temps, le Tribunal d’Aulnay sous Bois continuant de rejeter les demandes d’indemnisation aux motifs de l’absence de preuve de la présence à bord, deux pourvois étaient formés, sur les conseils du cabinet, contre des jugements du 31 décembre 2018.
Près de deux années plus tard, et un an presque jour pour jour après l’ordonnance de la CJUE, la Cour de cassation opère un revirement cristallin par deux arrêts rendus au visa de l’article 3 du Règlement (CE) 261/2004 :
Vu l’article 3, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 261/2004 :
4. Aux termes de ce texte, le règlement s’applique à condition que les passagers disposent d’une réservation confirmée pour le vol concerné et se présentent, sauf en cas d’annulation visée à l’article 5, à l’enregistrement.
5. Il a été jugé qu’il incombait au passager de faire la preuve que chacune de ces deux conditions cumulatives était remplie (1re Civ., 14 février 2018, pourvoi n° 16-23.205, Bull. 2018, I, n° 34 ; 1re Civ., 10 octobre 2019, pourvoi n° 18-20.491, publié).
6. Cependant, par ordonnance du 24 octobre 2019 (LC, MD c/ EasyJet Airline Co. Ldt, C-756/18), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que le règlement n° 261/2004, et notamment son article 3, paragraphe 2, sous a), doit être interprété en ce sens que des passagers d’un vol retardé de trois heures ou plus à son arrivée et possédant une réservation confirmée pour ce vol ne peuvent pas se voir refuser l’indemnisation en vertu de ce règlement au seul motif que, à l’occasion de leur demande d’indemnisation, ils n’ont pas prouvé leur présence à l’enregistrement pour ledit vol, notamment au moyen de la carte d’embarquement, à moins qu’il soit démontré que ces passagers n’ont pas été transportés sur le vol retardé en cause, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
7. Pour rejeter la demande de Mme X…, le jugement énonce que celle-ci, qui produit une réservation confirmée pour le vol en cause, ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle s’était présentée à l’enregistrement.
8. En statuant ainsi, alors qu’il lui incombait de vérifier si le transporteur aérien démontrait que Mme X… n’avait pas été transportée sur le vol retardé en cause, le tribunal d’instance a violé le texte susvisé.
Si une incertitude demeurait, selon certaines juridictions de proximité, sur la portée de l’ordonnance de la CJUE, la saga judiciaire est aujourd’hui définitivement (on l’espère !) terminée par ces deux arrêts de la 1ère Chambre civile. La Cour de cassation ne pouvait, en effet, se plier plus clairement à l’interprétation de la CJUE, garantissant ainsi la primauté du droit européen et un niveau élevé de protection des passagers aériens.
Le Cabinet se félicite une nouvelle fois de la consécration des droits des consommateurs passagers aériens et de la reconnaissance des droits de ses clients dans ces deux affaires.
D’autres combats judiciaires sont encore à l’heure actuelle menés par le cabinet et nous espérons pouvoir continuer de trouver matière à nous réjouir en cette période troublée.
Pour en savoir plus :
Cass. 1ère civ, 21 octobre 2020, n°19-13.016
CJUE, Ordonnance, 24 octobre 2019, n°C-756/18
Règlement (CE) 261/2004 du 11 février 2004
Cass. 1ere civ, 14 février 2018, n°16-23.205
Cass. 1ere civ, 12 septembre 2018, n°17-25.926
Cass. 1ere civ, 10 octobre 2019, n°18-20.491